L'hiver s'installe, et avec lui son cortège de
manifestations météorologiques désagréables pour nous, pauvres
primates originaires de la forêt équatoriale. Le vent, la pluie, la
neige, nous sont autant de sources de désagréments, voire de
pathologies plus ou moins sérieuses, qui nous font craindre de telles
manifestations chez nos chevaux. Mais qu'en est-il exactement, quels
sont les retentissements de ces grands froids qui s'annoncent chez nos
compagnons de chevauchée? Faut-il craindre l'hiver pour ses conséquences
directes sur nos montures, ou plutôt pour notre inconfort lorsque nous
nous retrouverons à 1,65 mètre d'altitude, exposé au blizzard? Nous
allons aborder ici les pathologies rencontrées les plus fréquemment en
hiver, et essayer de comprendre les raisons de leur survenue, et les
possibilités de les prévenir.
Les Origines du Cheval
Tordons d'abord le cou à des idées issues directement de notre
anthropomorphisme débordant : le cheval ne craint pas le froid. Si
l'espèce humaine est issue de l'Afrique équatoriale et n'a pu émigrer
et coloniser le monde que grâce à des artifices comme le feu et le
vêtement,
le cheval moderne, du genre Equus, s'est imposé dans l'Ancien Monde au
cours des grandes périodes glaciaires du pleistocène qui refroidirent
notre planète il y a quelques dizaines de milliers d'années. S'il a pu
traverser ces périodes pour arriver jusqu'à nous, là où les
mammouths et autres rhinocéros laineux ont échoué, c'est bien que le
froid ne lui faisait pas peur. On considère d'ailleurs actuellement que
tous les chevaux actuels dérivent de trois branches d'une seule et même
espèce l'Equus przewalskii gmelini, le cheval sauvage des steppes
mongoles de l'Europe orientale, aujourd'hui disparu. L'évolution lui a
donné toutes les armes anatomiques et physiologiques pour supporter les
basses températures. Parmi celles-ci, on peut citer :
· un pelage épais, dont la texture et la croissance sont modifiées dès
les premiers refroidissements de l'automne. Cette toison vaut beaucoup
de fibres synthétiques par ses capacités d'isolation. En emprisonnant
une couche épaisse d'air, elle réduit les pertes de chaleur par
rayonnement et par convexion.
· une surface de contact avec le sol réduite, associée à des systèmes
de tolérance au froid et de régulation de température très ingénieux
(voir Cheval Endurance N° 5 - "La Fourbure"), qui permettent
de limiter les déperditions de chaleur par conduction.
Ainsi, un cheval peut parfaitement rester exposé de longues heures à
des températures inférieures à -20° C sans en éprouver la moindre
gêne.
C'est ainsi que les petits chevaux mongols (encore eux) passent des
hivers dehors en Sibérie, où la température peut parfois atteindre
-50°C. Cependant, il est certain que certaines pathologies surviennent
plus volontiers en hiver. Elles sont en partie dues au froid et nous
allons essayer de détailler leurs mécanismes, appareil par appareil.
Les Pathologies Cutanées Traumatiques
L'hiver, les pathologies cutanées traumatiques sont souvent augmentées
tant en quantité qu'en gravité, et cela pour plusieurs raisons :
· le sol est rendu glissant par la boue, la neige ou la glace.
· il est durci par le froid, qui rend les irrégularités acérées
comme des lames de couteau.
· l'accumulation de boue ou de neige sous les fers diminue la
sensibilité du pied du cheval et sa capacité à le renseigner sur le
relief.
· enfin le refroidissement de la peau diminue son élasticité et
sa résistance à la déchirure.
Les chutes sont fréquentes. Les zones principalement exposées sont les
genoux (carpes) et la face dorsale des boulets, qui sont souvent les
premières à rentrer en contact avec le sol. Les structure anatomiques
touchées sont par ordre de profondeur la peau et les tissus
sous-cutanés,
puis les tendons extenseurs du doigt et du carpe et leurs gaines de
glissement, enfin, si la plaie est très profonde, les articulations
elle-mêmes. Ces plaies sont rarement suturables. D'une part, les pertes
de substances généralement importantes empêchent de réunir les
marges de la plaie. D'autre part, l'écrasement de la peau entraîne généralement
une nécrose par gangrène sèche des bords de la plaie, qui se traduit
presque systématiquement par une déhiscence (ouverture) au bout de 8
à 10 jours, quelque soit la qualité de la suture. On recherche donc
habituellement une cicatrisation par seconde intention (comblement de la
plaie par du tissu de granulation et repousse centripète de la peau),
qui peut prendre de 2 à 6 mois, en fonction de la taille de la plaie et
de l'aptitude à la cicatrisation du cheval. Une telle cicatrisation est
très généralement satisfaisante, tant sur le plan fonctionnel
qu'esthétique,
à condition que les soins (nettoyage poussé biquotidien et application
de pommade cicatrisante) soient appliqués et suivis jusqu'à guérison
complète. Dans tous les cas, une plaie de la face dorsale du genou ou
du boulet, même minime, d'où s'écoule un liquide transparent et
visqueux (synovie) doit impérativement conduire à consulter un vétérinaire
au plus vite, et au maximum dans les 6 à 12 heures. En effet, il s'agit
vraisemblablement d'une plaie articulaire, qui sera sans conséquences
aucunes si elle est décelée et soignée de suite (lavages articulaires, pansements
stériles, antibiothérapie de couverture),
mais peut être gravissime et conduire à l'euthanasie de l'animal si
l'infection s'installe.
La prévention de ces pathologies peut passer par la protection des
membres du cheval (bandes, guêtres, genouillères) et l'emploi de
ferrures spéciales anti-dérapantes ou à neige. Mais le plus efficace
reste l'attention du cavalier et surtout l'éducation du cheval, qui
peut parfaitement apprendre à se déplacer en terrains variés et
glissants. Un cheval qui ne fait que passer du boxe au manège et du manège
au boxe sans mettre le pied à l'extérieur sera automatiquement par
terre à la moindre trace de boue, alors que l'on en voit d'autres
galoper spontanément dans la neige et se jouer des ornières et des
plaques de verglas.
Les Pathologies Cutanées Infectieuses
On note souvent en hiver une augmentation des cas de crevasses et de
gales de boue (voir Cheval Arabe N° 15 - "Les pathologies de la
peau"). Ces pathologies ne sont pas la conséquence directe du
froid, mais sont favorisées par des épiphénomènes qui lui sont liés
:
· la présence du poil d'hiver dans les paturons limite la détection
précoce des affections cutanées en masquant la peau, et ce d'autant
plus que le poil est épais.
· elle favorise également la rétention de corps étrangers (petits morceaux de bois, sable,...) agressifs pour la
peau.
· l'humidité du sol et des litières favorise les pullulations
microbiennes, qui sont d'autant plus importantes que les chevaux ont généralement
en hiver des aires de déplacement réduites (boxes, stabulations,
petits paddocks) qui sont rapidement surcontaminées par les crottins.
Ce sont ces populations microbiennes qui contaminent les moindres
petites altérations de la peau et les transforment en profondes
crevasses ou en gales de boue extensives. La prévention de ces
atteintes cutanées passe avant tout par une hygiène accrue des sols, y
compris des sols équestres (carrières et manèges) : enlèvement des
crottins, drainage et assèchement, renouvellement fréquent des
litières.
Les soins aux membres doivent également être particulièrement
attentifs. Ils incluent forcément un examen soigneux au cours du
pansage, ainsi qu'au retour du travail. Le recours à la douche systématique
pour éliminer les traces de boue ou de crottins est très efficace. Ce
n'est en aucun cas l'eau elle-même qui est à l'origine des crevasses,
mais uniquement les souillures qu'elle peut charrier. Un paturon mouillé
sur une litière propre ne craint rien, même par grand froid.
Les Pathologies Digestives
On remarque parfois en hiver des épisodes quasi-épidémiques de
coliques de stase (voir Cheval Arabe N°10 - "Les Coliques")
liées à l'accumulation d'aliments déshydratés et impactés dans le
gros intestin, qui peuvent avoir plusieurs origines.
· le refroidissement brutal de la température de l'eau entraîne
souvent une baisse transitoire de l'abreuvement, qui peut favoriser une
impaction alimentaire. Ce phénomène est encore accentué lors du gel
complet de l'abreuvoir, si celui-ci dure plus de 12 heures. Ce n'est pas
la température de l'eau qui est en cause, mais bien la diminution de la
quantité bue.
· l'activité du cheval est souvent diminuée lors des grands
froids, pour des raisons de sol et de notre propre sensibilité au froid. L'ennui généré par le repos forcé augmente généralement la
consommation de paille, facteur favorisant de la colique de stase.
· depuis la fin de l'automne, les larves de gastrophiles sont
arrivées dans l'estomac et s'y sont fixées. A partir du mois de
décembre,
elles peuvent, si elles sont en nombre important, provoquer des lésions
de la paroi de l'estomac et entraîner des coliques. Pensez à
vermifuger mi-décembre avec un vermifuge actif contre les gastrophiles
(ils sont au nombre de cinq : Telmin+trichlorphonND, Rintal+ND,
EqvalanND, FurexelND et EquestND).
· c'est également en hiver que l'infestation du cheval par le ténia
semble être la plus importante. Or ce parasite perturbe énormément la
motricité du gros intestin, et peut donc favoriser ce type de coliques.
Le traitement de ces coliques passe par l'utilisation d'antalgiques et
de laxatifs (huile de paraffine). Le pronostic est très bon, à
condition que le défaut d'abreuvement ne se soit pas prolongé plus de
48 heures.
La prévention nécessite une surveillance accrue de l'abreuvement en
hiver, le maintien d'une activité suffisante quel que soit le temps, éventuellement
associés à l'utilisation d'une litière non consommée (copeaux,
paille de lin,...). Il est également important de penser aux
traitements anti-parasitaires, en particulier vis-à-vis du ténia.
Attention : aucun des vermifuges commercialisés actuellement en France
pour le cheval n'a d'activité sur les ténias. Il faut utiliser
d'autres molécules, qui ont l'inconvénient de ne pas présenter de
formes galéniques adaptées au cheval. Votre vétérinaire vous
renseignera. Enfin, on peut parfois observer des coliques dites a
frigore, liées à l'ingestion d'un volume important d'eau très froide.
On les observe principalement après un effort long (randonnée,
endurance), lorsque la soif du cheval est intense et qu'il se précipite
goulûment sur une eau à quelques degrés. L'arrivée massive de cette
eau froide dans l'estomac peut entraîner une douleur très intense, généralement
de courte durée. Après un travail, si le cheval manifeste une soif
importante et que l'eau à disposition est froide, il faut l'obliger à
fractionner sa prise d'eau par fractions de 5 litres espacées d'une à
deux minutes. cet espacement est suffisant pour permettre le réchauffement
progressif de l'eau bue. L'ingestion d'eau ou d'aliments froids (herbe
gelée) en quantités normales n'entraîne aucun problème particulier,
le passage dans la cavité buccale et la mastication assurant un réchauffement
suffisant du bol alimentaire pour prévenir tout réaction a frigore.
Les Pathologies Respiratoires
Elles représentent une grosse part des maladies d'hiver. On retrouve
bien sur des pathologies virales épidémiques, telles que la grippe ou
la rhinopneumonie. Mais un grand nombre d'autres virus peut être
responsable de syndromes grippaux similaires plus ou moins marqués
cliniquement. On remarque également parfois des aggravations de
pathologies chroniques existantes, telles que la Maladie des Petites
Voies Respiratoire (voir Cheval Arabe N°11). On ne connait pas tous les
facteurs qui favorisent ces pathologies en hiver, mais deux phénomènes
au moins peuvent intervenir.
· un refroidissement brutal de l'air inspiré, comme il s'en
produit lors du passage d'une écurie fermée où la température est
souvent proche de 10 à 15°C, à l'extérieur. Ceci est accentué par
le manque d'échauffement, qui augmente trop rapidement la quantité
d'air ventilée. Cet air froid qui arrive brutalement entraîne une
vasoconstriction de l'appareil respiratoire supérieur, qui peut altérer
le fonctionnement de l'appareil muco-ciliaire et diminuer les capacités
de défense du poumon.
· on note très souvent en hiver une augmentation de l'hygrométrie
des écuries, liée à une mauvaise ventilation et une température trop
élevée par rapport à l'extérieur. Ce phénomène transforme
certaines écuries en véritables bains de vapeur. Cet aérosol est
riche en ammoniac, issu des urines, qui est très irritant pour le
poumon, particulièrement chez les chevaux à pathologies chroniques. Il
forme de plus un milieu de survie très apprécié de nombreux virus. La
prévention de ces pathologies passe donc par une bonne ventilation des
locaux, même si la température doit en baisser de quelques degrés, et
un échauffement au travail très progressif et dont la longueur doit être
nettement augmentée par rapport à l'été. Veillez également aux
vaccinations contre la grippe et la rhinopneumonie (voir Cheval Arabe N°12).
Il est plus judicieux de les faire pratiquer en début d'hiver qu'au
printemps. Comme pour les pathologies digestives ou cutanées, ce n'est
pas le froid lui-même qui est dangereux, mais plus souvent les défauts
d'hygiène et les chocs thermiques.
Les Pathologies Locomotrices
La lutte contre le froid passe par une vasoconstriction périphérique,
destinée à abaisser la température de l'extérieur du corps (peau et
muscles périphériques) afin de limiter les pertes par rayonnement et
conduction. Cette diminution du débit sanguin touche particulièrement
les masses musculaires les plus importantes en volume, comme la croupe,
la cuisse et le dos. Elle est encore accentuée par l'immobilité au
boxe. Ces muscles sont extrêmement sollicités lors de la locomotion.
Leur efficacité va donc nécessiter un débit sanguin élevé, qui sera
plus long à obtenir en hiver qu'en été. Là encore, la progressivité
et la longueur de l'échauffement vont être capitales pour le bon
fonctionnement musculaire.
Son défaut se traduira par une incapacité à l'effort liée au manque
d'oxygénation du muscle, à l'origine de myosites (inflammation
musculaire). L'expression la plus marquée en est le coup de sang. La
vasoconstriction périphérique se fait également sentir au niveau
articulaire, où elle peut accentuer l'expression des pathologies
chroniques dégénératives (arthrose). Là aussi, l'échauffement est
capital. Le facteur principal de la prévention des pathologies
locomotrices liées au froid reste donc la longueur et la progressivité
de l'échauffement avant l'effort. On peut favoriser le réchauffement
des masses musculaires par l'utilisation d'un couvre-rein, voire par
massage. Certaines articulations (boulet principalement) peuvent également
trouver un confort supplémentaire avec l'utilisation de bandes de polo,
de massages ou de frictions. Enfin une attention particulière doit être
apportée au "refroidissement" de l'organisme après le
travail, qui doit, tout comme l'échauffement, être très progressif.
Le choc thermique reste encore et toujours le seul ennemi du cheval.
Les Pathologies évitées grâce au froid
Nous avons parlé jusqu'à maintenant des pathologies consécutives,
directement ou indirectement, au froid. Mais il existe également un
certain nombre de maladies qui régressent ou disparaissent avec le
froid. L'hiver apporte ainsi une contribution non négligeable au contrôle
de certains facteurs pathogènes :
Les Pathologies Allergiques
Un certain nombre de chevaux présentent des allergies à expression
respiratoire (Maladie des Petites Voies Respiratoires) ou cutanées
(Dermatite Estivale Récidivante). Les facteurs allergéniques sont
souvent multiples, mais parmi eux, on note très souvent des facteurs végétaux
(pollens, feuilles,...) ou animaux (insectes piqueurs, acariens). La
concentration de ces facteurs dans l'environnement immédiat du cheval
diminue généralement très fortement en hiver, avec pour conséquence
directe une amélioration clinique marquée.
C'est le cas dans la presque totalité des dermatites estivales, et dans
une grande part des pathologies pulmonaires chroniques, pour peu que les
conditions d'environnement soient bonnes (cf. plus haut).
Contrôle du parasitisme
Le froid représente un excellent facteur de désinfection du sol,
particulièrement vis-à-vis des oeufs des parasites digestifs du
cheval, à condition que certaines conditions soient réunies :
· le froid doit être assez intense (± 0°C) et prolongé.
· les oeufs doivent être accessibles au froid. Un tas de crottins
peut voir sa température interne rester entre 0 et 5°C, un tas de
fumier entre 20 et 30°C, alors que la température extérieure est à
-10°C! La meilleure façon de favoriser l'action du froid est de
disperser les crottins par hersage, et d'éviter les tas de fumier à
l'endroit où le cheval pâture.
Si ces conditions sont réunies, le parasitisme ambiant peut être
fortement diminué la saison suivante.
Le froid permet également de limiter certaines populations d'insectes
(mouches, taons,...). Ainsi, si l'hiver peut apporter au cheval son lot
de pathologies, nous avons vu que, bien plus que d'être la conséquence
du froid, elles sont généralement celle d'une mauvaise gestion humaine
du froid. Il faut cesser de considérer le bien-être du cheval d'un
point de vue purement anthropomorphe, mais il faut le voir du côté
cheval, avec ses contraintes anatomiques, physiologiques et
psychologiques.
Le cheval ne craint pas le froid, mais il craint les chocs thermiques
imposés par une écurie surchauffée, humide et mal ventilée, et par
la recherche du confort du cavalier. Si la température est agréable
pour lui, c'est malheureusement qu'elle est trop élevée pour son
cheval. Alors à nous de choisir si les conditions d'élevage du cheval
doivent privilégier avant tout le confort de l'animal, ou celui de
l'homme qui l'élève.
Une des meilleures démonstrations est faite par l'équipe de Nouvelle-Zélande
de Concours Complet, qui domine cette discipline au niveau international
depuis plusieurs années. Elle s'entraîne en Angleterre. Si vous vous
rendez chez ces cavaliers, en été comme en hiver, vous serez surpris
de ne pas voir de boxes : les chevaux passent leur vie dehors, 24h/24 et
365 jours par an, quelles que soient la température et la météorologie.
Les chevaux en travail en hiver sont même tondus et vivent au pré avec
des couvertures. C'est ainsi que les chevaux sont faits, et c'est ainsi
qu'on devrait leur permettre de vivre.
Par le Dr. Vétérinaire
Fabrice Thoulon
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